Corps Allongé

 
 
 

gisantCorps Allongé, installation vidéo – 2010 – Toulon

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À la suite de plusieurs performances ou l’enjeu de l’enfermement très restreint et l’attente sont de mise, j’ai découvert un tableau : « Le Christ au tombeau » de Holbein le Jeune. Ce tableau m’est resté à l’esprit un bon moment. Ses dimensions sont très particulières ; deux mètres de long sur seulement trente centimètres de haut. Le Christ apparait sous les traits d’un cadavre allongé, maigre, verdâtre, les yeux révulsés, la bouche ouverte. Pris dans les habitudes d’une iconographie plus sage, on ne le reconnaît pas dans ce corps en putréfaction stigmatisé par les supplices. Des dires non confirmés rapportent que Hans Holbein aurait pris pour modèle le cadavre d’un juif repêché dans le Rhin.

Le réalisme de ce tableau peint en 1522 a beaucoup choqué. L’écrivain russe Fedor Dostoïevski, dans son roman L’Idiot, retranscrit son sentiment à travers les paroles de son personnage Mychkine : « Mais, ce tableau, il serait capable de vous faire perdre la foi ! ». Le Christ uniquement représenté par ses souffrances. Ce réalisme par l’horreur est, pour beaucoup, une négation de la Résurrection. Dostoïevski n’est pas le seul que ce tableau ne laisse pas indifférent.

« La représentation sans fard de la mort humaine, la mise à nu quasi anatomique du cadavre, communique aux spectateurs une angoisse insupportable devant la mort de Dieu, confondue ici avec notre propre mort, tant est absente la moindre suggestion de transcendance. » écrit Julia Kristeva dans son livre « Soleil Noir, Dépression et Mélancolie »

Ou encore Saint-Marc Girardin en 1985 : « C’est un corps nu, couché sur la pierre, raide, affaissé, la peau verte plutôt que pâle. Cette peinture est impie à force d’être vraie ; car c’est un cadavre qu’Holbein a peint, ce n’est pas le corps d’un Dieu enseveli. La mort est trop empreinte sur ce corps pour que la vie n’y puisse jamais rentrer ; si c’est là le Christ, Holbein ne croyait pas à la Résurrection. »

L’œuvre a suscité de nombreuses et vives réactions de rejet. Outre le fait qu’Holbein y représente le Christ, chair de Dieu, bien trop réellement mort, il est aussi représenté complètement seul. À la même époque, on entoure le Christ, le mort, de personnages plongés dans la douleur mais le corps, presque vivant et accompagné, renforce la certitude de la Résurrection prochaine. Même Matthias Grünewald et son Christ putréfié sur la Croix dans le retable d’Issenheim, ne le laisse pas aussi seul, sans espoir. Holbein laisse le cadavre seul et sans aucune échappée vers le haut, le ciel. Le plafond de la niche descend trop bas pour que quelque chose s’y relève un jour. C’est une mort inaccessible et sans au-delà. Une invisibilité de sépulcre. L’homme, le Christ redevenu homme, abandonné du père et séparé de nous, sans autre intermédiaire.

Le regardeur voit la mort du Christ, non plus le fils de Dieu mais de l’homme, sa propre mort. Une manière de voir l’humanité à distance.

 

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Le Christ au tombeau, Hans Holbein dit Holbein Le Jeune, 1522.